ALTER : Des Lego pour rendre les salariés créatifs



24/01 | Stéphane Frachet

Des Lego pour rendre les salariés créatifs

On peut en savoir plus sur quelqu'un en une heure de jeu qu'en une année de conversation », décrétait Platon. Un brin de sagesse qui n'a pas échappé à la Macif. En ce matin de décembre, le premier assureur automobile de France a réuni son équipe marketing pour concevoir ses nouvelles offres à l'aide de... briques de Lego. Derrière de larges baies vitrées, sur son campus de formation à Niort, douze cadres et deux formateurs du cabinet Reliences disposent de quarante-huit heures... et de boîtes comprenant des milliers de briques bigarrées, plates, rondes, cubiques, des dauphins, des vaches, des tracteurs...

Sous l'oeil aiguisé des consultants, les participants ont emboîté une douzaine de personnages sur une grande plaque grise. Rien ne manque au décor : ni les clients, incarnés par des figurines diverses, ni le guichetier, bras tendu, sourire banane, ni une salariée de la hot line, casque téléphonique sur la tête. Des briques fines et rectangulaires symbolisent les offres du groupe mutualiste. Quant au back-office, une plaque centrale, en guise d'ordinateur, est reliée à tous les éléments par des tuyaux de pompier pour évoquer le système informatique. Un coffre-fort de pirates rappelle que le système est sécurisé. Enfin, un camping-car et un deux-roues illustrent les extensions possibles des contrats.


Cohésion du groupe

Le tour est joué : des ébauches d'offres automobiles que proposera la Macif en 2013 voient le jour, grâce à « Lego Serious Play », une formation ludique, conçue par le quatrième plus grand fabricant de jouets au monde. D'abord destinée aux salariés de Lego, la méthode séduit aujourd'hui des sociétés françaises, après avoir fait florès dans les pays scandinaves, aux Etats-Unis et au Japon. De DaimlerChrysler à eBay, d'Ikea à la Nasa, à Unilever ou à Vodafone, plus de 250 organisations l'auraient déjà expérimentée dans le monde. A en croire ses formateurs, elle répond à de nombreux défis de l'entreprise : organisation de la production, gestion des risques, amélioration du service à la clientèle, création de nouveaux produits, réveil de la créativité... Le tout pour un prix variable : de 1.000 euros pour un groupe de 10 ou 20 salariés lors d'un atelier de deux heures à 1.600 euros par personne pendant deux jours, avec film et synthèse à la clef.

Le principe ? Le cerveau humain, saturé d'informations, ne parvient pas toujours à formuler de réponses adéquates. Or les solutions sont souvent à « portée de main », assure le cabinet Reliences, et passent, parfois, par des gestes et des représentations. La manipulation de Lego permet donc, de manière ludique, de rendre un concept intelligible et de le partager pour l'amender collectivement. « En assemblant des briques pour signifier une idée, on la matérialise, on la rend compréhensible pour les autres », commente Patrice Lerouge, associé du cabinet de formation Reliences. De quoi permettre à chacun de participer et de s'approprier les résultats, en favorisant, au passage, la cohésion du groupe.
Libre de droits

« La méthode fédère l'intégralité de l'équipe autour du jeu. Aucun participant ne peut se cacher, comme cela arrive parfois dans des séances de formation classiques, où ceux qui ont une certaine aisance relationnelle et un ascendant sur les autres s'expriment plus souvent,renchérit Christophe Rougon, directeur adjoint du marketing de la Macif. Là, le collectif prime. » Même si certains décrochent. A l'image d'un participant qui suit parfaitement les évolutions de la construction, mais ne goûte que modérément ces journées passées à assembler des briques. Manifestement, l'exercice lui semble puéril.

Pour autant, ses collègues ne ressemblent en rien à une bande d'adolescents en plein épisode régressif. Ce jour-là, les cadres de l'assureur ont dû, entre autres, construire une tour, la plus haute possible, en trois minutes, avec une main dans le dos. Ou encore décrire leur métier d'assureur à l'aide de maquettes. Pas facile, glisse Marion : « On souffre ! » « L'aspect ludique ne nous empêche pas de vous ramener à la réalité. Votre construction doit séduire le sociétaire lambda, et tout votre réseau commercial. Vont-ils la comprendre et l'acheter ? », interroge Christian Ruetsch, un des deux animateurs de la session.

Néanmoins, des résistances subsistent. « Dans les pays où la marque a une histoire forte, comme la France, Lego reste assimilé à un jouet. Et les entreprises hésitent », admet Robert Rasmussen, ancien manager de Lego, à l'origine du déploiement du procédé. Autre frein, la culture managériale : « Dans ce type de jeu, la hiérarchie est atténuée, voire bannie. Chacun se remet en question, y compris le manager. Mes collaborateurs voient bien que je n'ai ni toutes les solutions ni toutes les idées, et ce n'est simple à accepter, ni pour eux ni pour moi », avoue Christophe Rougon à la Macif. Justement, renchérit Patrice Lerouge, « dans les structures complexes que sont les entreprises, même un manager hyperdoué ne peut maîtriser seul tout le flux d'informations. D'où l'enjeu de mobiliser chaque collaborateur vers le même objectif ».

Depuis 2010, Lego Serious Play est désormais libre de droits : aucune certification n'est plus nécessaire pour en devenir formateur. Si certains restent sceptiques, les cadres de la Macif, eux, n'ont pas vu le temps passer. Bien qu'enfermés depuis 8 h 30, aucun n'a réclamé qui son café, qui sa cigarette. Après trois heures de brainstorming, les animateurs décrètent une pause. Les joueurs ne l'avaient même pas demandée.


Stéphane FRACHET, Les Echos



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